La région centrale de la Middle Belt au Nigeria a été secouée cette année par une recrudescence des violences entre fermiers et éleveurs. Le changement climatique et la désertification intensifient les tensions, poussant les éleveurs du nord à se déplacer plus au sud, sur le territoire des agriculteurs. Le conflit, l'un des plus meurtriers au monde, a fait certaines années plus de morts que l'insurrection de Boko Haram.
Ces affrontements, pour un accès à la terre et aux ressources, virent à l’affrontement interreligieux, la majorité des éleveurs étant musulmans, et les agriculteurs pour beaucoup chrétiens.
"De nombreux agriculteurs perdent leurs sources de revenus, car leurs cultures sont brûlées par les éleveurs"
Abeni (pseudonyme) est un fermier chrétien. Il a été contraint de fuir ses terres après des violences en juillet 2020. Depuis la mi-mars, il a été témoin de trois attaques distinctes au cours desquelles des dizaines de personnes ont été tuées. Le 18 mars, dix agriculteurs ont été assassinés et trois personnes blessées par balle dans le village de Kizachi, dans l'État de Kaduna. Abeni raconte :
Plus de 100 militants peuls sont arrivés dans le village vers 23 heures [le 18 mars, NDLR]. L’attaque a duré plus d’une heure. L’armée nigériane est arrivée à 12 h 45 le lendemain, mais il était trop tard. Les massacres avaient déjà eu lieu. Plus de 70 maisons et lieux de culte, ainsi que plusieurs granges à céréales et des motos ont été incendiés.
Dix personnes sont mortes dans ces violences.Ces photos montrent les dégâts qui auraient été causés par des bergers peuls dans le village de fermiers de Kizachi, au Nigeria, le 18 mars 2021. Dix personnes sont mortes dans ces violences.Ces photos montrent les dégâts qui auraient été causés par des bergers peuls dans le village de fermiers de Kizachi, au Nigeria, le 18 mars 2021. Dix personnes sont mortes dans ces violences.
Abeni a envoyé à notre rédaction des photos extrêmement choquantes montrant trois corps brûlés, dont celui d’un nourrisson. Il poursuit :
Ici, les attaques ont tué plus de personnes que la pandémie de Covid-19. Le gouvernement essaie de trouver un vaccin pour lutter contre le virus, mais pourquoi n’a-t-il pas essayé de trouver un remède à cette crise, qui devient incontrôlable ? C’est tellement plus dangereux que la pandémie. De nombreux agriculteurs perdent leurs sources de revenus, car leurs cultures sont brûlées par les éleveurs, ou mangées par le bétail. Pour d’autres, c’est encore pire : ce sont leur famille et leurs amis qui sont en train de mourir.
Dans les villages environnants d’Ancha, Hukke, Kperie, et dans des centaines d’autres à travers la fertile région de la Middle Belt du Nigeria, des témoignages similaires se répètent.
"Des éleveurs sont tués quotidiennement par les communautés paysannes"
Salihu Musa Umar, est membre de MACBAN, une des principales associations d’éleveurs en Afrique, fondateur de l’Initiative des agriculteurs et des éleveurs pour la paix et le développement.
Les éleveurs sont souvent dépeints de manière négative par les fermiers. Cela suscite des soupçons quand ils arrivent. Mais en réalité, ils sont tout aussi souvent victimes de ce conflit. Des éleveurs sont tués quotidiennement par les communautés paysannes.
Les éleveurs doivent se déplacer d’un point A à un point B à la recherche de pâturages plus verts. Mais leur route est souvent bloquée par des agriculteurs en colère qui les attaquent. Après ces violences, la justice n'est pas rendue. Les éleveurs, qui se sentent lésés, mènent alors des attaques de représailles. C'est une spirale sans fin.
Les moyens de subsistance des éleveurs les rendent très vulnérables. Ils sont majoritairement pauvres, peu instruits, et ils sont rarement entendus dans le débat public. Il est ainsi facile de faire d'eux des boucs émissaires.
Le changement climatique, facteur aggravant
Depuis des décennies, les agriculteurs et les éleveurs se croisent car les Peuls du nord du Nigeria migrent traditionnellement vers le sud pendant la saison sèche, à la recherche d’eau et de pâturages pour leur bétail. Les deux communautés avaient pour habitude de trouver des accords afin de cohabiter pacifiquement.
Mais ces dernières années, le changement climatique a changé la donne. La sécheresse et la désertification ont contraint les éleveurs à se déplacer plus au sud, jusqu'à se retrouver sur les terres des agriculteurs, dont le nombre a augmenté parallèlement à la croissance démographique du Nigeria.
Contacté par notre rédaction, Isaac Olawale Albert, directeur de l'Institut pour la paix et les études stratégiques à l'université d'Ibadan, à 130 kilomètres au nord-est de Lagos, estime que "le changement climatique est la variable la plus importante dans l'analyse [du conflit]".
"Les sécheresses et la désertification sont à l'origine des déplacements accrus des éleveurs. Il est devenu plus difficile de trouver des terres fertiles, donc la concurrence s'est intensifiée. La région de la Middle Belt est aussi souvent surnommée le 'panier alimentaire' du pays – c'est une terre très fertile, prisée par les agriculteurs pour leurs cultures, et par les éleveurs pour le bétail", explique Isaac Olawale Albert.
La peur d’un "autre Rwanda"
Le nombre croissant de victimes dans ces affrontements alimente des tensions religieuses déjà présentes. La majorité des éleveurs peuls sont musulmans, et la plupart des agriculteurs sont chrétiens. Avec l'arrivée au pouvoir 2015 du président Muhammadu Buhari, lui-même peul et musulman, la situation est allée de "mal en pis", selon Salihu Musa Umar. De nombreux agriculteurs ont accusé le gouvernement de partialité dans le conflit, et même d'attiser la violence à des fins politiques.
Dans les deux camps, les accusations et contre-accusations de nettoyage ethnique, et même de génocide, ont pris de l'ampleur.
Selon un analyste local du conflit qui a préféré garder l'anonymat, il est désormais essentiel que le gouvernement prenne le contrôle du sujet pour apaiser ces théories conspirationnistes destructrices qui se répandent rapidement : "Le gouvernement doit être très prudent car s'il ne l'est pas, et s’il semble soutenir un groupe en particulier, cela pourrait se transformer en un autre Rwanda et dégénérer en une guerre civile à grande échelle".
Un enjeu pour la sécurité alimentaire
Trouver une sortie de crise est également un enjeu pour l’économie et la sécurité alimentaire du pays. Selon Salihu Musa Umar, près de 60 % des protéines du Nigeria proviennent des élevages des bergers peuls. Pendant ce temps, environ 90 % des agriculteurs sont de petits exploitants qui produisent la majeure partie de la production agricole du pays, représentant 27 % du PIB.
"La nourriture devient très chère parce que les agriculteurs n'ont plus accès à leurs fermes", souligne Isaac Olawale Albert. "Si nous ne parvenons pas à instaurer la paix dans les zones rurales, nous ne pourrons plus cultiver de la nourriture. Le conflit est devenu un problème existentiel au Nigeria. Soit nous trouvons une solution au conflit, soit nous n’aurons plus assez de nourriture pour nous nourrir", conclut-il.
Les affrontements entre agriculteurs et éleveurs ont fait plus de 10 000 morts au cours de la dernière décennie et forcé le déplacement de 300 000 personnes, selon l'International Crisis Group. En 2018, d’après cette organisation, 2 000 personnes avaient été tuées, six fois plus que le nombre de victimes de Boko Haram cette année-là, selon l'International Crisis Group.
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