Par: Me Cheickh Tidiane DABO
Intervenant en droit des Etrangers de l’Investissement du Financement et du Foncier
Source: kewoulo.info
Date: 21/05/2020
Au Sénégal, la question foncière ou encore celle de l’utilisation des terres, constitue un sujet d’actualité, car de la terre, la famille trouve un moyen de subsistance, le pays une partie de sa richesse et l’état social sa stabilité. La terre revêt une importance capitale dans la vie de l’homme et de la société du fait qu’elle est source de développement économique. Elle est pouvoir dans la mesure où elle tient l’élevage, l’agriculture, l’habitation et les ressources naturelles.
Sous le régime de Maître Abdoulaye WADE le Sénégal avait engagé un important chantier dans la réforme foncière. Cette réforme visait à rassembler des textes disparates hérités de la colonisation comme le décret du 26 juillet 1932 portant réorganisation du régime de la propriété foncière en Afrique Occidentale Française. Deux éminents magistrats sénégalais Biram SENE et Adama TRAORE ont mené un important travail de recueil de textes fonciers et domaniaux avec des annotations et de la jurisprudence consignées dans un livre publié aux éditions Abis dont la dernière édition est sortie en 2019.
Cette nouvelle loi 2011-07 du 30 mars 2011 concentre l’essentiel des procédures applicables dans le domaine foncier, et son application après promulgation aurait dû être précédée par un décret d’application qui en prévoit les modalités. Certaines dispositions prévoient expressément le renvoi au décret d’application quant à leurs modalités de mise en œuvre. Aujourd’hui une prolifération du contentieux dans le domaine foncier de plus en plus remarquée justifiant que la rigueur et la clarté puissent être érigées comme bouclier à la sécurité juridique des citoyens.
Au Sénégal, les litiges fonciers constituent l’une des premières causes de saisine de nos juridictions (civiles, administratives et correctionnelles) et engorgent les rôles des tribunaux. Cette clarté dans les textes applicables trouve une partie de sa justification dans le constat que la richesse du pays dépend toujours, pour une partie significative, de la mise en valeur de son patrimoine immobilier et que les investissements qui doivent accompagner cet effort national ne peuvent être obtenus sans un règlement efficace des litiges fonciers qui donne la sécurité juridique désirable aux mutations immobilières.
En ce qui concerne la loi du 30 mars 2011, son contentieux est prévu à l’article 39 du Titre II relatif au fonctionnement du Régime de la Propriété foncière qui comporte un Chapitre premier intitulé Immatriculation des Immeubles et une Section première traitant de la procédure d’immatriculation. Il résulte littéralement de l’alinéa 3 de l’article 39 ci-dessus que « les règles régissant le contentieux né de la procédure de l’immatriculation sont fixés par décret.» Il en va de même en matière d’inscription de droits réels sur le titre foncier car sa notification est faite dans les formes prévues par décret conformément à l’article 66 alinéa 3 de la loi précitée.
Plus décisivement, l’article 95 alinéa 2 du Titre IV concernant les frais et émoluments plus particulièrement les salaires des conservateurs de la propriété et des droits fonciers de salaires représentatifs du travail matériel effectué et de la responsabilité assumée traités dans l’article 94, nous enseigne que ces salaires visés sont déterminés dans les conditions fixées par décret. Mieux encore, l’organisation des bureaux de la conservation de la propriété et des droits fonciers sont créés dans des conditions fixées par décret ainsi que la fixation des limites territoriales dans lesquelles chaque bureau est compétent conformément aux dispositions des articles 7 et 8 de la loi de 2011.
Il ressort donc d’une lecture combinée de ces différentes dispositions qu’un décret est nécessaire pour l’application de certaines dispositions de cette loi si ce n’est pas toute la loi qui en requiert. A ce stade, il n’apparaît nulle part, la publication d’un décret de renvoi qui permet l’application des dispositions de cette loi si importante pour la sécurité juridique des sénégalais et le respect du droit de propriété. Aujourd’hui, l’absence d’une norme de référence officielle rend quasiment impossible l’application de certaines dispositions de la loi de 2011.
Cette analyse vaut pour la loi n°2002 du 16 août 2002 portant Code de la marine marchande. Certains articles de cette loi renvoient à un décret d’application par exemple sur l’organisation maritime article 3 Zones et services maritimes, articles 11 et 12 sur limites des zones portuaires et Administration des ports maritimes. Des décisions prises sur la base de disposition nécessitant un décret d’application jamais pris sont nulles et non avenues et créent une situation dangereuse dans l’ordonnancement juridique et administrative. Les autorités doivent impérativement intervenir pour pallier à cette carence notée dans l’application des lois visées et dont certaines dispositions demeurent inapplicables voir illégales en l’absence de décret organisant leur mise en œuvre ou leur applicabilité.