Source: Foncier-développement.fr
Ces dernières années, on assiste à l’explosion du nombre de titres fonciers sur le continent africain, à la diversification des références juridiques et des actes écrits mobilisés en revendication ou en contestation de droits. La propriété privée y prend des valeurs normatives plus larges que celles héritées du droit colonial, des libéralisations économiques et des recommandations internationales : elle devient référentiel d’action pour de nouvelles couches de la population ; elle est mise en débat par les objectifs d’un développement soucieux de ménager l’environnement et de sécuriser durablement l’accès à ses ressources.
Argumentaire
Ces dernières années, on assiste à l’explosion du nombre de titres fonciers sur le continent africain, à la diversification des références juridiques et des actes écrits mobilisés en revendication ou en contestation de droits. La propriété privée y prend des valeurs normatives plus larges que celles héritées du droit colonial, des libéralisations économiques et des recommandations internationales : elle devient référentiel d’action pour de nouvelles couches de la population ; elle est mise en débat par les objectifs d’un développement soucieux de ménager l’environnement et de sécuriser durablement l’accès à ses ressources. Des élites citadines, des intérêts internationaux et divers projets socio-économiques se montrent tentés de peser sur les politiques publiques, retravaillant en cela la dimension politique des questions foncières. On touche ici au droit et à ses mondes sociaux, mais aussi aux droits, pensés comme universaux ou comme sociaux, sur les ressources naturelles et sur le sol urbain.
Contexte et argument général du colloque
Au Mali particulièrement, la visibilité de ces questions est due à des violences économiques et physiques inédites dans la capitale et dans certaines régions du pays. Le sentiment d’insécurité est palpable parmi des actifs vulnérables ; mais il traverse aussi les classes moyennes émergeantes et des propriétaires considérés jusqu’alors comme favorisés. Il conduit à de fortes attentes de justice et d’intégrité de l’État, au moment où celui-ci est ouvertement désigné comme insuffisamment outillé, faible dans ses pratiques réglementaires.
Les concurrences activées autour de projets d’aménagement régional, les jeux d’acteurs déployés autour de transferts de rente, les tentatives de réforme du droit ou de la gestion des terres, constituent cependant des questions largement partagées sur le continent africain. Le Laboratoire mixte international MACOTER s’empare donc d’une question foncière inscrite dans son projet scientifique pour proposer un colloque international dédié à l’utilité sociale des travaux universitaires.
Il s’agit d’ouvrir ici un débat sur une thématique qui intéresse toutes les couches sociales. Bien traitées, les questions foncières offrent un soubassement solide au développement local, régional et national. Mal gérées, elles sont aussi le socle de l’instabilité institutionnelle et de désordres politiques. L’USJPB et l’ULSHB se proposent de porter les échanges en vue d’aboutir à une production scientifique de haut niveau, d’aborder en particulier les conflits auxquels populations et autorités font face de manière croissante.
Sont attendus dans cette manifestation :
des propositions d’analyse, des retours d’expériences venant du Mali et d’autres pays africains ;
la publication d’un ouvrage et d’articles de fond à partir des communications retenues.
En parallèle des travaux du colloque, un atelier méthodologique, de niveau doctoral, sera consacré à la production des données et à l’écriture scientifique sur les questions foncières.
Objectifs des échanges, pistes de communication
Depuis le début des années 1970, l’expansion urbaine et la dégradation des ressources naturelles s’accélèrent et prennent des formes multiples en Afrique, notamment dans les régions sahéliennes. Les compétitions sur la terre s’intensifient selon des enjeux non seulement locaux mais aussi internationaux. La déforestation, la dégradation des sols, le mitage des paysages périurbains vont de pair avec une pression foncière croissante qui avive les tensions sociales et déstabilise les médiations communautaires. Les contradictions d’intérêts se multiplient pour l’accès à la terre, pour la captation des rentes domaniales, vénales et locatives. Les investissements font face à des surcoûts de corruption et de sécurisation. Les objectifs de réduction de la pauvreté buttent sur les difficultés à enregistrer ou à formaliser des droits coutumiers, à permettre un plus large accès à la propriété et au crédit gagé sur elle. En ville, la location renvoie une partie non négligeable de la population, jeune en particulier, à de sérieuses frustrations foncières ; la précarité résidentielle qui en découle est perçue comme le lot de citoyens de second rang.
Le Mali est emblématique des risques politiques que suscitent des déchirements territoriaux, des précarisations économiques, des affrontements collectifs dans les milieux ruraux et urbains. La conflictualité entre particuliers engorge les tribunaux, met en cause l’État à travers les pratiques de ses représentants. D’autres litiges administratifs contribuent à affaiblir l’idée d’une gestion publique des problèmes nationaux. Si cet analyseur du foncier interpelle la recherche en sciences sociales sur l’idée d’une perte de cohésion du vivre ensemble malien, l’objet d’étude n’est pas pour autant neuf. Par cette transversalité d’un fait social aussi total que le foncier, les « spoliations », les « prédations », les « impunités » qui remontent aujourd’hui du débat de société malien marquent la trajectoire politique singulière du pays, et en interpellent d’autres sur le continent.
Le premier objectif de ce colloque est donc d’embrasser les dimensions multiples de la pression foncière, d’en mesurer les rythmes, les orientations et les zones de tension. On cherche ainsi à analyser les processus d’accaparement et de spéculation selon des catégories scientifiques éprouvées. Il s’agit également de mettre l’expérience malienne en perspective d’une Afrique diverse sur le plan des droits et des juridictions du foncier, mais tout autant en alerte sur les mêmes défis : pression démographique, étalement urbain, organisation des marchés agricoles, sécurisation des usages, des propriétés, des investissements, nouveaux outils de gestion des sols et normes de gouvernance territoriale, (non)politiques du cadastre et de la fiscalité foncière, etc.
Aucune discipline des sciences humaines et sociales, juridiques et économiques, ne peut à elle seule couvrir le périmètre scientifique du foncier, ni répondre aux demandes d’expertise qui se multiplient pour assister la gestion des conflits ou consolider les priorités sectorielles de développement. Un deuxième objectif du colloque est donc de proposer un état des lieux des savoirs. Comment capitaliser des connaissances redevables de diverses références théoriques et sensibilités scientifiques ? Quelles sont les thématiques de recherche aujourd’hui émergentes ?
Juristes, politistes, économistes, géographes, historiens, sociologues, anthropologues, linguistes…, sont ici conviés à communiquer sur diverses composantes du/des droit(s) foncier(s) et domaines de gestion des ressources : mises en ordre et désordres juridiques, statut des droits locaux, perspectives de régionalisation des politiques d’aménagement et d’environnement, besoins en sol urbain, résistances aux évictions, entrepreneuriat du BTP, gestion des hypothèques (liste non exhaustive). Les propositions pourront s’attacher ainsi aux niveaux d’échelle, aux catégories mobilisées et aux efforts de réflexivité propres à chaque discipline. Corrélativement, on valorisera des lieux d’étude partagés, voire la mise en œuvre de recherches pluridisciplinaires.
Avec cet objectif de regards scientifiques croisés, on peut s’interroger sur les mots clefs qui jalonnent les travaux des chercheurs dans l’espace africain : pluralisme juridique et relectures du droit foncier, rentes de l’État et clientèles municipales, systèmes de propriété et conflits d’appropriation, révisions institutionnelles et nouvelles mobilisations sociales... Il s’agit alors de préciser les théories de l’action sociale auxquelles ils se réfèrent, et de les confronter : d’une part aux visions problématiques qui traversent le continent, sans lui être spécifiques (land grabbing, titrisation, financement des équipements publics, par exemple) ; d’autre part aux visions populaires et aux plaidoyers corporatistes (syndicalisme paysan, opérateurs immobiliers, milieux bancaires, professions libérales) qui s’expriment selon de nouvelles tribunes de développement.
Sur un plan méthodologique, on peut de même s’interroger sur ce que les chercheurs proposent pour articuler dans leurs travaux les dimensions réglementaires et pratiques de l’accès aux ressources foncières : productions institutionnelles et cultures administratives d’un côté, représentations collectives et expériences plus individuées de légitimation de l’autre. Comment corriger le manque de mesures statistiques fines ? Comment introduire un suivi longitudinal des valeurs foncières ? Comment tirer parti des approches monographiques qui ont largement rendu compte de contextes villageois et ethniques en Afrique : parfois en intégrant une analyse processuelle, souvent en se privant de possibilités de comparer et de monter en généralité ? Comment promouvoir les approches fondées sur échantillonnage, ou glissant du niveau de la parcelle à celui du terroir, voire du territoire administré ? Comment aborder les secteurs désignés comme « sensibles », ou « d’intérêt prioritaire » (ressources hydrologiques? pastorales ? foncier minier ? réserves périurbaines ? droits des femmes ?), quand d’autres apparaissent dans l’ombre des préoccupations du moment, voire oubliés de la recherche ? Comment surtout envisager l’opportunité et les limites d’un continuum de problèmes entre villes et campagnes ?
Un troisième objectif du colloque est d’aborder les relations entre la recherche et l’action publique. La première apporte sa capacité d’analyse, sa distance critique, et divers outils d’aide à la décision ; mais elle peut se voir reprocher son éparpillement institutionnel et les difficultés qu’elle éprouve parfois à répondre, selon les recommandations et les délais requis, à l’attente d’indicateurs ou de bonnes pratiques. La seconde met les experts fonciers en situation d’observer la dimension relationnelle des politiques publiques. Elle livre des données qui seraient moins accessibles dans d’autres circonstances. Mais elle relève d’un temps politique qui n’est pas celui des chercheurs ; de logiques de pouvoir qui finissent par empiler les rapports d’étude au placard ; parfois de tiraillements entre autorités nationales et bailleurs qui font les non-dits de la « gouvernance foncière ».
Au Mali particulièrement, les réformes de décentralisation, les révisions du Code domanial et foncier, les projets urbains, les Lois d’orientation agricole…, offrent de réelles occasions aux décideurs de solliciter l’expertise universitaire. Après divers engagements dans la société civile (droits coutumiers, droits humains), après les Etats généraux du Foncier et les Assises nationales de 2009, la demande de cadastre reformulée en 2013 et la Réforme de la gestion foncière lancée en 2014, constituent un dernier moment d’échanges entre experts et acteurs politiques. Comment ces spécialistes sont-ils consultés et entendus face au « nœud gordien » et aux défis de long terme de la gestion foncière ?
Le colloque saisira ainsi l’occasion de rendre compte d’une expérience impliquant des chercheurs du LMI auprès du ministère des Domaines de l’État et des Affaires foncières, selon de récentes possibilités d’analyser la dynamique d’immatriculation des terres au Mali. Il envisagera d’autres voies de promotion d’une vision proactive de l’université en matière d’administration territoriale, de justice, de renforcement des collectivités décentralisées, des instances d’interpellation démocratique, de contrôle budgétaire, etc. Il suivra avec intérêt d’autres retours d’expertises dans la sous-région. Quelles conclusions les chercheurs tirent-ils des situations conflictuelles qu’il leur est donné à voir parfois au cœur de l’État ? Comment (re)sociologiser ou (re)politiser la question foncière quand la commande d’étude est fondée sur des fiches-diagnostics ou sur une vision technique introduite de l’extérieur ?
Enfin, le colloque proposera en conclusion de ses travaux une table ronde laissant la parole à des non-chercheurs : des acteurs politiques impliqués dans la gouvernance foncière, de grands témoins institutionnels et praticiens, des porteurs de plaidoyer ou de communication sur le sujet. Ils pourront s’exprimer sur leurs contraintes organisationnelles propres, les partenariats qu’ils ont ou pas avec l’université, leurs attentes à l’égard des chercheurs.
Coordination du colloque
Bakary Camara, USJPB- FDPU
Monique Bertrand, IRD-CESSMA
Comité scientifique
Françoise Bourdarias, CESSMA
Balla Diarra, ISFRA
Moussa Djiré, USJPB
Charles Grémont, IRD-LPED
Gilles Holder, CNRS-IMAF
Naffet Keita, ULSH-FSHSE
Philippe Lavigne DelviLLe, IRD-GRED
Séraphin Nene Bi Boti, Université de Bouaké
Alexis Roy, Université Paris 1-UMR D&S
Mamy Soumaré, USSGB-IER
Moussa Sow, ISH