Jeunesse et biodiversité : l’agriculture guyanaise en plein renouveau ? | Land Portal
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Jean-Noël Menard, Ingénieur Général des Ponts, des eaux et des Forêts Hon, et ancien directeur de l’Agriculture et de la Forêt de la Guyane (1988-1992).
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Photo: Paul LUU – ODEADOM (CC BY-NC-ND 2.0 DEED)

Par Jean-Noël Menard, Ingénieur Général des Ponts, des eaux et des Forêts Hon, et ancien directeur de l’Agriculture et de la Forêt de la Guyane (1988-1992).

Vaste territoire français situé dans la forêt amazonienne, la Guyane présente pour la France et l’Europe un intérêt stratégique à la hauteur de l’activité spatiale qui s’y est installée. C’est aussi un espace naturel forestier de premier ordre confronté à une forte croissance démographique, ce qui interroge les modèles agricoles passés et futurs. Plongée dans un territoire très spécifique dont le développement est riche d’enseignements pour d’autres régions du monde faisant face aux mêmes défis : produire et protéger les écosystèmes.


Le Zébu est la race vedette, pure ou en croisement, en raison de sa tolérance aux sécheresses qui perturbent la production d’herbe sur les sols sableux ou peu épais à faible RFU. Photo Paul LUU – ODEADOM.

Tour d’horizon de l’agriculture guyanaise

Parmi les régions françaises, tant de métropole que d’outremer, la Guyane fait figure de cas particulier. Ce vaste territoire grand comme le cinquième de la métropole est peu peuplé mais connaît une croissance démographie des plus élevées, la plus haute derrière Mayotte. En 1970 le département de la Guyane Française comptait à peine 30 000 habitants. Il y en aurait environ 300 000 aujourd’hui, et, selon l’INSEE, cette population, qui a presque doublé depuis 25 ans, augmente de 2,3 % chaque année. De plus, la moitié de la population a moins de 25 ans ce qui pose de réelles contraintes sur l’emploi mais se présente comme une opportunité en agriculture. En effet, la présence de jeunes motivés pour s’installer est un atout majeur.

Un tel contexte démographique, qui s’observe aussi dans d’autres régions intertropicales du monde, est un défi pour l’agriculture qui doit s’efforcer de satisfaire une demande alimentaire en forte augmentation. Cependant, la production guyanaise ne connaît qu’une croissance limitée et le taux de couverture des besoins alimentaires par les importations est en augmentation continue. Le foncier et sa maîtrise représentent des potentiels importants pour le développement agricole du territoire. La surface agricole utilisée de la Guyane est d’environ 35 000 ha, dont 15 500 ha sont des prairies (surfaces toujours en herbe). Le reste se partage entre les vergers (6 000 ha) et les surfaces classées comme « labourables » (13 400 ha). Il y aurait en outre environ 40 000 ha de terres agricoles non mises en valeur (sources : Statistiques agricoles annuelles 2020).

L’enquête Structures de 2010 comptait près de 6 000 exploitations. Il y en aurait près de 6 400 aujourd’hui. L’agriculture occupe moins de 1% du territoire, mais elle emploierait environ 20 000 actifs soit près de 7% de la population.

Le Plan Vert : des politiques publiques d’abord inspirées du modèle agricole européen

Depuis les années 1970 la mise en valeur agricole de la Guyane est un enjeu de politique publique dont l’outil n°1 est le foncier, propriété de l’État (et aujourd’hui également des Collectivités territoriales), accessible à toute personne présentant un projet répondant aux critères retenus par la collectivité propriétaire.

Jusqu’en 1986, l’État encourageait la création d’exploitations agricoles avec l’objectif « d’humaniser » le paysage en transformant les espaces forestiers et naturels proches du littoral en fermes principalement d’élevage, mais aussi de vergers d’agrumes. Ces orientations ont été choisies eu égard aux faibles potentialités de la plupart des sols guyanais. D’ailleurs, beaucoup d’espaces naturels dont la fertilité est très basse ne pourraient pas être transformés en espace agricole productif.

A la forêt, milieu réputé inhospitalier, devaient se substituer des pâturages et des vergers. Ce « plan vert » devait permettre la production de viande bovine, porcine, de volailles, pour atteindre l’autosuffisance en produits animaux, ainsi que d’agrumes, et de crevettes d’eau douce destinées à l’export. On ne parle plus d’objectifs quantitatifs aujourd’hui, mais les productions animales qui continuent d’être accompagnées par les politiques publiques occupent une place importante dans l’agriculture « professionnelle » et attirent encore de nouveaux agriculteurs désireux de s’installer. Elles font aussi l’objet de nombreuses formations dispensées par l’Établissement Public Local d’Enseignement et de Formation Agricole (EPLEFAG), le lycée agricole de Matiti. Pourtant, même si les connaissances pratiques et la maîtrise technique de ces productions ont progressé au cours des cinquante dernières années, il y a eu beaucoup d’échecs d’entreprises. Les risques inhérents à une installation dans des productions hautement capitalistiques dans le contexte guyanais ont souvent été sous-estimés, tant par les candidats à l’installation que par les pouvoirs publics, et même par les banques.

L’humanisation des nouveaux espaces agricoles reste problématique

L’isolement des agriculteurs est à lui tout seul un immense défi, surtout sur les exploitations habitées.  Même sur des portions de territoire où plusieurs exploitations agricoles ont été installées, il n’est pas facile d’entretenir des relations de voisinage. Cette difficulté sociale et logistique se pose tout particulièrement pour les jeunes installés, souvent isolés. Ils doivent faire face non seulement aux difficultés partout inhérentes au métier mais aussi à un environnement naturel pouvant se montrer hostile. Comme l’extension urbaine a absorbé beaucoup d’anciens lotissements agricoles situés à proximité des bourgs, les nouvelles exploitations sont souvent allées s’installer à l’écart ou dans la forêt. Le coût des équipements et aménagements qu’il faudrait réaliser pour viabiliser ces espaces et desservir les exploitations en eau potable, électricité, accès à l’internet, etc., est très élevé. Les communes et leurs intercommunalités, qui pourtant souhaitent favoriser l’installation d’agriculteurs sur leurs territoires, peuvent rechigner à faire les investissements nécessaires dont les coûts dépassent leurs capacités financières. Ainsi, beaucoup d’agriculteurs installés à l’écart des bourgs ne sont reliés au reste du territoire que par des pistes, parfois rendues temporairement impraticables lors de fortes pluies.

L’isolement n’est pas que physique car l’adhésion d’agriculteurs à des démarches collectives ne va pas de soi. Dans les difficultés héritées du passé, il faut citer les échecs de structures coopératives destinées à structurer les filières qui ont laissé un sentiment diffus de doute et de méfiance qui complique toute initiative de construction d’une organisation professionnelle agricole.

Depuis quelques années l’installation de nouveaux agriculteurs est facilitée par l’Établissement Public Foncier et d’Aménagement de la Guyane (EPFAG) qui aménage des espaces agricoles et y installe des jeunes agriculteurs diplômés formés généralement au lycée agricole de Matiti et dans les autres établissements d’enseignement agricole de Guyane. Les agriculteurs demeurent néanmoins des pionniers de la conquête d’espaces naturels où les équipements ruraux et les services peuvent tarder à les suivre.

Zoom sur la communauté Hmong

Un nouveau modèle agricole est arrivé en Guyane à la fin des années 80 avec l’arrivée de deux communautés de Hmong réfugiés d’Asie du Sud-est dans des espaces isolés, situés loin des bourgs. Dès leur arrivée, ils ont fait apparaître deux territoires agricoles où de nombreuses familles habitant dans les nouveaux villages de Cacao et de Javouhey vivent du maraichage, en allant vendre leurs produits dans les villes de la côte. Ce modèle, assez unique au départ, est aujourd’hui reconnu et salué par l’ensemble de la population, et nombreuses sont les municipalités cherchant à attirer des agriculteurs d’origine hmong sur leur territoire.

Forêt amazonienne : quand l’hostilité fait place à la reconnaissance de traditions séculaires. 

Depuis la Conférence de Rio en 1992, le regard porté sur la forêt guyanaise a changé de paradigme. L’espace hostile à détruire est devenu un immense réservoir de biodiversité à protéger, partie de le forêt amazonienne grand piège à Gaz à effet de serre (GES) et stock de CO2. On continue de pratiquer le déforestage, mais sur des surfaces réduites et ciblées. On s’efforce d’installer de nouveaux exploitants sur des terrains agricoles abandonnés. On tente de valoriser, comme source d’énergie, la biomasse retirée au lieu de la brûler sur place. La recherche réoriente l’exploitation forestière, autrefois cueillette sélective prédatrice, vers un mode durable.

Le zonage du territoire guyanais inclut de vastes espaces protégés, notamment dans le cadre du Parc Amazonien qui couvre 40% du territoire. Des espaces agricoles ont cependant été définis à l’intérieur du périmètre du Parc afin de permettre aux populations qui, comme dit dans le code du Domaine de l’Etat tirent leurs moyens de subsistance de la forêt, de pratiquer l’abattis, modalité amazonienne de la culture itinérante sur brûlis. Ce système de production peut être considéré comme durable tant que la pression anthropique sur le milieu forestier reste faible, afin qu’une durée suffisante de retour à l’état boisé des espaces entre les mises en cultures permette la régénération de la fertilité.

Dans cette région de forêt humide à faible densité humaine, l’abattis fait figure de système d’exploitation traditionnel. Il permet depuis toujours aux populations autochtones amérindiennes de compléter, en premier lieu avec le manioc, leur alimentation fondée par ailleurs sur la chasse la pêche et la cueillette, et aussi l’élevage de basse-cour. Fait notable, l’abattis a été aussi adopté non seulement par les populations bushinenguées qui se sont installées le long du moyen Maroni depuis plus de trois siècles, mais aussi par des familles créoles des bourgs de la côte qui pratiquent ainsi une agriculture familiale de subsistance. Sur la côte, le schéma tend toutefois à se sédentariser, l’abattis devenant un jardin familial où l’on pratique une agriculture de temps partiel. Ce modèle a pu ainsi faire émerger une petite agriculture familiale guyanaise.


Abattis (Photo Parc Amazonien de Guyane)

Les cultures d’abattis se pratiquent en forêt, et ceux qui s’y adonnent habitent dans des villages. Contrairement au modèle du jardin créole bien connu dans la région caraïbe, un agriculteur ne réside pas en permanence sur l’abattis. L’habitat sur l’exploitation ne fait pas partie des traditions locales. A noter aussi que les parcelles cultivées par les Hmong sont séparées, à proximité des villages où résident les cultivatrices et cultivateurs.

Dans l’ouest guyanais la croissance démographique est particulièrement explosive, spécialement dans des communes majoritairement bushinenguées. Le moment est venu de trouver une alternative à l’abattis qui soit acceptable par ces populations parmi lesquelles émergent des vocations d’agriculteurs.  En pratique, de plus en plus d’agriculteurs des communes du moyen Maroni désertent les espaces collectifs, dans lesquels se déplaçaient traditionnellement les abattis, pour solliciter la concession de petites parcelles et y pratiquer des cultures maraichères et vivrières sédentaires.

Agriculture en Guyane : une diversité assumée et des expériences à partager 

Un peu partout, les orientations des projets de jeunes qui s’installent se sont diversifiées. Chaque projet est un cas particulier. Il fut un temps où l’installation passait obligatoirement par l’adhésion à une filière préétablie. De nos jours, le nouvel agriculteur peut imaginer son projet et faire preuve d’originalité. L’antagonisme s’estompe entre une agriculture pionnière, conquise sur la forêt, et l’abattis traditionnel, utilisateur d’une fertilité fournie par la forêt. Très naturellement, les projets d’installation en agroforesterie ont fait leur apparition depuis quelques années. Même si la création de prairies sur des sols de forêt peut permettre d’en conserver la fertilité, la transformation n’est pas sans risque et a parfois connu des échecs. À n’en pas douter, l’agroforesterie est une approche à encourager, les arbres étant une utilisation qui convient bien à la plupart des sols guyanais, fragiles et peu épais.

Contrairement aux autres régions d’outremer le nombre d’exploitations est croissant et la Guyane installe des jeunes agriculteurs. Malgré de réelles difficultés, la Guyane offre aux candidats à l’installation, dans des conditions avantageuses, des surfaces à mettre en valeur et des marchés de consommation en plein développement. Formés par le lycée et d’autres établissements locaux d’enseignement agricole ils sont nombreux à souhaiter s’investir dans une activité de production et à en relever les défis. Le dynamisme d’une population d’agriculteurs jeunes, bien formés et bien accompagnés ne pourrait qu’être générateur de nouvelles expériences à partager.

Que ce soit en Guyane ou dans d’autres régions du monde, l’agriculture itinérante sur brûlis peut devenir destructrice des ressources naturelles avec une forte croissance démographique. La transformation de cette agriculture itinérante en un modèle sédentaire durable est donc une nécessité là où la pression sur le milieu naturel devient trop forte. Plus généralement, la promotion d’une agriculture à la fois respectueuse des équilibres naturels et capable de nourrir une population en forte croissance reste un objectif majeur en Guyane comme dans bien d’autres territoires confrontés aux mêmes défis.

De plus, la réduction de l’isolement des agriculteurs doit demeurer un chantier prioritaire. Les suicides qui ont récemment endeuillé l’actualité guyanaise en rappellent toute l’importance, même si d’autres facteurs ont aussi contribué au malaise ressenti parmi les agriculteurs guyanais.

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