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News & Events Lutte contre l'accaparement des terres: Global Witness compte les morts
Lutte contre l'accaparement des terres: Global Witness compte les morts
Lutte contre l'accaparement des terres: Global Witness compte les morts
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Date: 30 juillet 2019


Source: FarmlandgrabRFI


Par: Igor Gauquelin


Spécialisée dans la dénonciation du pillage des ressources naturelles, une célèbre ONG basée au Royaume-Uni a publié, ce mardi 30 juillet, son rapport annuel sur les défenseurs des terres et de l'environnement tués l'an passé. Au moins 164 d’entre eux sont morts en 2018, selon Global Witness. Liste non exhaustive, qui ne doit pas cacher les autres formes de violences s’abattant sur ces militants, pour beaucoup indigènes. L’organisation demande : sont-ils « ennemis d'État » ?


En guise d’introduction : des dizaines de noms égrainés sur deux pages, sans plus de commentaires hormis le pays du décès. « Notre campagne est dédicacée à tous ceux, individus, communautés et organisations qui, bravement, se dressent pour la défense des droits de l'homme, des terres et de notre environnement. » Une histoire mise en exergue, celle de Julian Carrillo : « Opposant bruyant contre les concessions minières sur les terres de sa communauté, dans l’État de Chihuahua au Mexique, il a vu cinq membres de sa famille perdre la vie en deux ans. Sa maison a été brûlée. Il a également reçu de nombreuses menaces de mort avant que son corps ne soit finalement retrouvé criblé de balles le 24 octobre 2018. »


À quelques jours de la publication des conclusions du groupe d'experts de l'ONU sur le climat (Giec), qui s’est penché sur l'utilisation des terres dans le monde et l'importance des peuples autochtonesdans la protection de la nature, ainsi commence le rapport 2018 de Global Witness : par des histoires locales qui se ressemblent, malgré la distance qui sépare leurs protagonistes. L'histoire par exemple de ces huit militants au moins, impliqués dans des conflits terriens avec des représentants de l'industrie du soja dans l'État brésilien de Para, et qui ont tous été tués ; celle de ces neuf cultivateurs de canne à sucre, dont des femmes et des enfants, abattus par des hommes armés sur l'île de Negros, aux Philippines, suivis dans la mort par l’avocat de leurs familles.


Combien d’activistes, combien d’indigènes notamment, ont-ils trouvé la mort en 2018 parce qu’ils défendaient leurs terres, ou l'environnement, contre la convoitise des intérêts économiques privés ? Impossible à savoir, regrette l’organisation non gouvernementale Global Witness dans son rapport publié mardi. « Dans certains pays, les défenseurs font face à une situation difficile à jauger, parce que la presse n’est pas libre et que les gouvernements ou les ONG ne surveillent pas systématiquement ni ne documentent les abus. L'accaparement des terres peut également être très difficile à surveiller dans les régions du monde en proie aux conflits », apprend-on aussi, dans ce document d’une quarantaine de pages.


► Sur le site de l'ONG : « Enemies of the State ? How governments and businesses silence land and environmental defenders » (anglais)


Cette difficulté de fait n’empêche pas l’organisation, basée à Londres, de recenser toutes les situations visibles autour du globe en la matière. Et selon ses vérifications, au moins 164 défenseurs de l'environnement se battant contre des projets miniers, forestiers ou agro-industriels, ont ainsi été tués en 2018. Un nombre de morts officiels en baisse par rapport à 2017, année la plus meurtrière avec 207 morts, précise Global Witness ; mais d’ajouter que d’« innombrables » autres personnes en prise avec des intérêts économiques « ont été réduites au silence à travers le monde par la violence, l'intimidation et l'utilisation ou le dévoiement de lois anti-manifestation ». Certaines se voient ainsi criminalisées.


En question notamment : les besoins toujours plus grands de la société de consommation, selon Alice Harrison, membre de Global Witness, qui met en cause le soutien des États. « Ce qu’on observe dans le monde, explique-t-elle à RFI, c’est une pression accrue sur les terres et les ressources naturelles portée par une demande en augmentation pour tout ce que nous consommons chaque jour : la nourriture dans nos assiettes, les minéraux dans nos téléphones, le mobilier de nos logements… Tout cela conduit l’industrie vers de nouveaux territoires. Un nombre grandissant d’entreprises passent alors des accords avec les gouvernements sans le consentement des populations locales. » Un phénomène global, rappelle l’organisation.


L’évènement le plus meurtrier de l’année passée s’est déroulé dans l'État du Tamil Nadu, en Inde : 13 personnes ont été tuées après une manifestation contre une mine de cuivre. Dans son rapport annuel, l’ONG passe en revue les données qu’elle a pu regrouper continent par continent, s’arrêtant sur des pays où la situation est encore plus alarmante. En tête de son classement des pays les plus meurtriers l’an dernier pour les défenseurs des terres et de l’environnement : les Philippines, avec 30 meurtres confirmés. Viennent ensuite la Colombie et l'Inde, avec respectivement 24 et 23 morts en 2018. Quant au Guatemala, avec 16 meurtres, il fait office de pays regroupant le plus grand nombre de décès rapporté à son nombre d'habitants.


Les Philippines remplacent ainsi tristement le Brésil en tête du classement Global Witness d’une année sur l’autre. On trouve sur place « beaucoup d’or, du cuivre, du nickel », rappelle Alice Harrison. Et donc « beaucoup d’entreprises minières du Royaume-Uni, des États-Unis, du Canada, d’Australie », énumère-t-elle. Sur fond de corruption endémique et d’une « culture de l’impunité », « le gouvernement donne la priorité aux entreprises plutôt qu’un droit des citoyens indigènes, ce qui génère des conflits ». Et l'activiste d'évoquer « la militarisation de certaines industries, en particulier minières », « des sites surveillés par des soldats », et des cas où ces derniers ont tué des personnes qui protestaient au niveau local.


L’Iran ? Un cas d’école aux yeux de Global Witness dans son rapport consacré à ces potentiels « ennemis de l’État ». « En octobre 2018, relate l’ONG, quatre défenseurs de l'environnement iraniens œuvrant pour la protection des guépards et d'autres animaux en voie de disparition ont été accusés de corruption, des faits passibles de la peine de mort qu’ils nient catégoriquement. Ils figuraient parmi neuf membres de la Persian Wildlife Heritage Foundation arrêtés en janvier 2018 sur des soupçons d'espionnage. L'un d'entre eux, Kavous Seyed-Emami, un environnementaliste de renom, est depuis lors mort en prison dans des circonstances suspectes. Les autorités ont déclaré qu’il s’était suicidé, ce que ses collègues universitaires, sa famille et ses amis nient farouchement. Ses collègues sont toujours en prison aujourd'hui. »


► Sur RFI Savoirs : « Agir pour l’environnement », extraits d’émissions de RFI sur des parcours d’hommes et de femmes engagés pour la planète


Global Witness en appelle, quitte à la marteler, à la responsabilité des États, des gouvernements. Ces derniers doivent changer leur fusil d’épaule, selon Alice Harrison : « Je crois que les gouvernements devraient faire leur travail et ne plus favoriser les initiatives et intérêts privés. Nous aimerions voir les gouvernements soutenir et protéger les défenseurs de l'environnement et des terres. Nous aimerions aussi que les gouvernements fassent en sorte que les responsables rendent des comptes. L'un des plus gros problèmes en la matière, c'est que les enquêtes aboutissent rarement quand un meurtre a lieu. Résultat : rien n'incite les responsables de ces meurtres à agir différemment et la violence se perpétue. »


Le rapport 2018 de l’ONG fait déjà mention de cas survenus en 2019. Mais le temps a manqué pour évoquer la mort, la semaine dernière, d’un chef indigène dans le nord du Brésil, dans l’État d’Amapa. Pour Michelle Bachelet, haut commissaire aux droits de l'homme de l'ONU, la disparition d’Emrya Waiapi, chef des Waiapi, est une conséquence du développement de l'exploitation minière en Amazonie, cheval de bataille du président Bolsonaro. Mais les entreprises doivent aussi jouer un rôle, plaide Alice Harrison, qui leur demande de faire attention à leurs fournisseurs et sous-traitants, notamment. Avant de plaider, pour le long terme, pour une plus grande régulation mondiale.


« Il n'est pas suffisant pour les multinationales liées à des confiscations de terres de plaider l'ignorance », pointe le rapport. « Elles ont une responsabilité de s'assurer de façon préventive que les terres dont elles profitent ont été louées légalement, avec le consentement des communautés qui y vivent depuis des générations. » « À l'heure actuelle, rappelle Alice Harrison, les entreprises n'ont aucune obligation légale de vérifier que les terres qu'elles utilisent ont été acquises sans violence. » L'ONG demande que le problème soit traité à différents niveaux, à commencer par la racine. Comprendre : en œuvrant contre la corruption et l'impunité sur lesquels prospère l'accaparement.


Original source: RFI