Par Marie Gagné, révisions par Gabin Korbéogo, Groupe de recherche sur les initiatives locales (GRIL) de l’Université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou, Burkina Faso.
En 2018, le pays perd sa place de premier producteur africain de coton, se classant au troisième rang en 2020-2021, derrière la Côte d’Ivoire et le Bénin1. Bien que l’agriculture emploie 80% de la population active, la contribution des secteurs agricoles, forestiers et halieutiques a diminué de 28% du PIB en 1990 à 20% en 20202.
Le Burkina Faso a une longue tradition en matière d'orpaillage artisanal, qui a commencé avant même la colonisation, au moins depuis le XVe siècle.
Ouagadougou, photographie par Thierry Draus, Certains droits réservés license CC BY 2.0 DEED
Depuis plus d’une décennie, le Burkina Faso connaît un boom minier sans précédent. L’or a délogé le coton comme premier produit d’exportation en 2009 et représente maintenant près des deux tiers des recettes en devises. La contribution du secteur minier au produit intérieur brut (PIB) est passée de moins de 1% à 2009 à 12,7% en 20203. L’orpaillage, c’est-à-dire l’exploitation artisanale de l’or, constitue également une source de revenus directs ou indirects pour 20% de la population burkinabè4.
Le Burkina Faso possède le second plus gros cheptel en Afrique de l’Ouest, se plaçant derrière le Mali. L’élevage représente le troisième secteur en importance de l’économie burkinabè, contribuant à 12% du PIB et 19% des exportations5. La production animale et laitière est également destinée à la consommation locale. L’élevage au Burkina Faso est pratiqué de manière extensive ou, le plus souvent, en conjonction avec l’agriculture. On parle alors
d’agro-pastoralisme. La vaste majorité des ménages ruraux, soit 91%, possède des ruminants, illustrant la contribution de l’élevage aux moyens d’existence de la population burkinabè6.
Malgré une croissance économique soutenue de 5 à 6% par an en moyenne, en partie liée à l’essor du secteur minier industriel, la pauvreté demeure élevée au Burkina Faso. Le pays se classe en 2019 au 182e rang parmi 189 pays et territoires sur l’indice de développement humain7.
La question foncière dans ce pays est traversée par des tendances paradoxales. D’une part, le gouvernement burkinabè a adopté un cadre légal innovateur reconnaissant les droits coutumiers et ambitionne de structurer le territoire à travers divers aménagements (zones pastorales, installation de barrages, périmètres agricoles irrigués, aires protégées). D’autre part, ces politiques s’accompagnent de la fragilisation de l’accès aux terres par les utilisateurs locaux, autant en milieu rural qu’urbain. Cette fragilisation est notamment due à l’expansion des activités minières et agricoles à grande échelle, la dégradation environnementale, la croissance démographique, les flux migratoires, la montée de la violence terroriste et des pratiques d’accumulation et de spéculation foncières par des sociétés immobilières privées. Les conflits entre divers usages de la terre (agriculture de subsistance, agro-industrie, pastoralisme, conservation, orpaillage, mines industrielles et habitat) induisent une insécurité foncière grandissante. Ainsi, 44% de la population burkinabè a l’impression que ses droits de propriété ne sont pas adéquatement protégés8.
Contexte historique
Le Burkina Faso est une ancienne colonie française appelée à l’époque Haute-Volta. La France conçoit essentiellement le territoire comme un réservoir de main-d’œuvre pour la culture du coton au Soudan, les plantations en Côte d’Ivoire et les mines au Niger. À la veille des indépendances, le pouvoir colonial assouplit la présomption de domanialité (c’est-à-dire la notion que les terres non immatriculées et reconnues par un titre foncier appartiennent à l'État) pour reconnaître les droits fonciers coutumiers dans l’ensemble de ses colonies françaises.
Après l’indépendance du pays en 1960, la Haute-Volta maintient dans l’ensemble ces orientations en matière de foncier. L’État demeure le propriétaire des terres « vacantes et sans maître ». Toutefois, le gouvernement ne peut acquérir des terres que par « la cession amiable ou l’expropriation pour cause d’utilité publique » après qu’une enquête ait été menée pour établir l’existence éventuelle de droits coutumiers sur les terrains visés9.
Thomas Sankara accède au pouvoir en 1983 par un coup d’État. La Haute-Volta devient le Burkina Faso en 1984. Dans la foulée de la révolution, Sankara promulgue la Réorganisation agraire et foncière le 4 août 1984. Cette loi marque un changement de paradigme et établit undomaine foncier national faisant de l’État le propriétaire éminent des terres. Ce faisant, cette loi cesse de reconnaître les droits fonciers coutumiers et supprime la propriété privée individuelle pour n’accorder aux usagers que des droits de jouissance sans possibilité de cession.
Après l’assassinat de Sankara en 1987, Blaise Compaoré devient président du Burkina Faso. Le gouvernement introduit diverses réformes qui modifient graduellement la loi de 1984 pour faciliter l’accès à la propriété privée tout en maintenant l’État comme propriétaire du domaine foncier national. Ces réformes s’inscrivent dans le cadre des programmes d’ajustement structurel promus par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) pour libéraliser l’économie et réduire le rôle de l’État. Devant l’inefficacité de ces mesures, notamment la Loi no 014/96/ADP portant réorganisation agraire et foncière au Burkina Faso en 1996, le gouvernement modifie toutefois à nouveau son approche.
À partir de 1998, le pays s’engage dans un processus de réflexion et d’opérations pilotes afin de reconnaître les droits fonciers coutumiers10. À la suite d’une démarche concertée avec l’ensemble des parties prenantes à l’échelle régionale et nationale, le gouvernement promulgue la Loi no 034-2009/AN du 16 juin 2009 portant régime foncier rural au Burkina Faso11. En parallèle, l’État encourage toutefois l’investissement privé en agriculture.
Une insurrection populaire force le président Blaise Compaoré à quitter le pouvoir en octobre 2014. Ce mouvement représente la culmination de l’insatisfaction grandissante de la population vis-à-vis le gouvernement de Compaoré, insatisfaction qui remonte à l’assassinat en 1998 de Norbert Zongo, un journaliste critique du pouvoir. Roch Marc Christian Kaboré remporte les élections présidentielles de novembre 2015 et est réélu en 2020. Depuis 2016, le pays est aux prises avec une montée de la violence ayant causé des milliers de décès et le déplacement de plus de 1,5 million de personnes12. Dans les campagnes, la prolifération de groupes armés non étatiques liés à des mouvances djihadistes menace la sécurité des producteurs agricoles, éleveurs et employés du secteur minier. Cette instabilité a favorisé le renversement du président Kaboré en janvier 2022, à la suite d’un coup d’État militaire réalisé par le Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration.
Législation et réglementation foncières
La législation diffère pour les terres rurales et le sous-sol minier.
Les terres rurales : Le gouvernement a introduit en 2002 une loi sur le pastoralisme qui garantit aux éleveurs « le droit d’accès aux espaces pastoraux, le droit d’utilisation équitable des ressources naturelles et la mobilité́ des troupeaux »13. Pour soutenir ce secteur, le gouvernement a également créé 27 zones pastorales couvrant des milliers d’hectares, dont une dizaine est effectivement opérationnelle.
La Loi no 034-2009/AN du 16 juin 2009 reconnaît les droits fonciers coutumiers et transfère la gestion des terres aux communes rurales. La reconnaissance des droits des populations rurales sur leurs terres à titre individuel ou collectif s’effectue à travers l’attestation de possession foncière rurale (APFR). L’APFR constitue un « titre de jouissance » pouvant être transmis, cédé ou éventuellement transformé en titre de propriété. De plus, la loi permet l’élaboration de « chartes foncières locales » par les populations elles-mêmes afin d’adapter les dispositions légales aux pratiques et règles de leur communauté14. Dans l’ensemble, la loi protège adéquatement les droits coutumiers, mais elle exclut néanmoins les migrants de l’accès aux attestations de possession foncière en son article 3615.
La Loi no 034-2012/AN du 2 juillet 2012 portant réorganisation agraire et foncière (RAF) au Burkina Faso vient consolider la loi de 2009. En créant des domaines privés pour les municipalités et les individus, elle marque une rupture par rapport aux lois précédentes qui affirmaient le principe de domanialité éminente de l’État16.
Bien que le Burkina Faso dispose d’un ensemble de lois foncières exhaustif et cohérent visant à formaliser les droits fonciers coutumiers, le processus d’attestation s’opère lentement. Plus de 90% des terres agricoles ne sont pas sécurisées par un acte formel. Cette situation s’explique en partie par l’expansion des superficies nouvellement mises en culture, qui augmente plus rapidement que les demandes de sécurisation des terres17. L’ampleur des changements attendus, les faibles capacités des instances décentralisées et le manque de légitimité de l’État en matière foncière participent également à la prédominance des droits coutumiers. Pour l’instant,
l’essentiel des attestations sont délivrées dans le cadre de projets financés par la coopération internationale, tels que le Projet Sécurisation Foncière réalisé par le Millenium Challenge Corporation (MCC) des États-Unis.
Le sous-sol minier : Adoptée en 2015, la Loi n° 036-2015/CNT portant code minier du Burkina Faso encadre à la fois la pratique de l’orpaillage artisanal et les activités minières de type industriel. Selon la loi, les orpailleurs sont tenus d’obtenir une autorisation d'exploitation artisanale, valide et renouvelable pour une période de deux ans. Le périmètre des mines artisanales varie entre un et cent hectares.
Les activités minières industrielles ont préséance sur la pratique de l’orpaillage. L’article 73 de la loi prévoit en effet que l’exploration et la recherche peuvent être effectuées sur les sites bénéficiant d’une autorisation d’exploitation artisanale. Lorsqu’un titre d'exploitation industrielle est octroyé sur la superficie concernée, cette autorisation ne peut être renouvelée. Le nouvel exploitant doit néanmoins verser une indemnisation à l’ancien bénéficiaire d’un permis artisanal, sans toutefois que la loi spécifie ce montant. L’orpaillage dans le périmètre d’une mine industrielle est seulement possible si l’exploitant en donne l’autorisation.
La législation prévoit des mécanismes d’expropriation pour l’exploitation minière industrielle. L'occupation des terrains à des fins de prospection, de recherche ou d'exploitation de substances minérales entraîne le versement d’une « indemnisation juste et préalable » au propriétaire du sol ou à son occupant (article 123). De même, le propriétaire du sol ayant auparavant réalisé des travaux sur le périmètre concerné a droit à un remboursement des dépenses encourues (article 126)18.
En réponse aux pressions des organisations de la société civile burkinabè et internationale, le nouveau code minier hausse les paiements versés aux communautés locales pour le développement de 0,5% à 1% de leur chiffre d’affaires. Cet argent sert à alimenter le Fonds minier de développement local, auquel l’État contribue par ailleurs 20% de ses redevances. La loi instaure également un Fonds de réhabilitation et de fermeture de la mine financé par les titulaires de permis d’exploitation industrielle19.
Système de tenure foncière
En vertu de la Loi no 034-2012/AN du 2 juillet 2012 portant réorganisation agraire et foncière au Burkina Faso, le domaine foncier national du Burkina Faso est composé des terres urbaines et des terres rurales. Situées à l’intérieur des limites administratives des villes, les terres urbaines sont principalement dédiées à l’habitation, au commerce, à l’industrie, à l’artisanat et aux services publics. L’occupation de ces terres est régie par le code de l’urbanisme et de la construction, exception faite des terres des villages rattachés aux communes urbaines. Pour leur part, les terres rurales sont « destinées aux activités agricoles, pastorales, sylvicoles, fauniques, piscicoles et de conservation, situées dans les limites administratives des communes rurales et des villages rattachés aux communes urbaines ».
Autant en zones urbaines que rurales, le domaine foncier national est constitué de trois domaines distincts: celui de l’État, celui des collectivités territoriales et celui des particuliers. Les domaines fonciers de l’État et des collectivités territoriales sont à leur tour divisés en domaine public immobilier et en domaine privé immobilier. Le patrimoine foncier des particuliers est constitué de l’ensemble des droits de propriété, de jouissance et d’usage sur les terres et biens immobiliers20.
Tendances dans l'utilisation des terres
La population du Burkina Faso est passée de 8,81 millions d’habitants en 1990 à 20,9 millions en 202021. La population demeure concentrée en milieu rural, avec près de trois personnes sur quatre vivant en campagne en 2019 (73,7%)22.
Prises dans leur ensemble, les terres agricoles couvraient 29 748 km2 en 1961 pour augmenter à 121 000 km2 en 201823, soit 44% du territoire. Toutefois, seulement une partie des superficies agricoles est effectivement cultivée. La mise en valeur de nouvelles terres agricoles s’effectue au détriment du couvert forestier. Bien que 14% du territoire soit officiellement protégé à titre de forêt ou de réserve naturelle, des données satellitaires révèlent que seulement 2% des sols seraient véritablement couverts de forêts vierges en 201324.
Le pays compte plus d’un million d’exploitations agricoles « dont 87% pratiquent une agriculture de subsistance et ou un élevage extensif » pour les besoins de la famille. Les productions vivrières les plus communes sont le mil, le sorgho, le maïs et le riz. Les régions de l’Ouest du pays (Boucle du Mouhoun, Hauts-Bassins, Cascades) concentrent historiquement l’essentiel de la production cotonnière, mais l’Est et le Centre-Est ont ces dernières années connu une expansion de cette culture25. Depuis quelques années, le secteur est toutefois affecté par la faible pluviométrie, un accès limité aux intrants, le boycott de la production par certains producteurs sous la direction d’une organisation de la société civile appelée l’Organisation démocratique de la jeunesse du Burkina, ainsi que l’insécurité dans l’Est empêchant les agriculteurs d’accéder à leurs champs26. Dans plusieurs villages, des greniers ont été brûlés, des récoltes et des troupeaux de bétail ont été emportés par les groupes armés et les agriculteurs ont été interdits de produire.
Des femmes transportant du coton au Burkina Faso, photographie par Ollivier Girard/CIFOR, Certains droits réservés
Le pays est marqué par d’importants flux migratoires à l’interne, liés aux aléas climatiques, à l’expansion du front agricole et aux crises sociopolitiques survenues dans les années 2000 en Côte d’Ivoire, un pays voisin où des millions de Burkinabè se sont installés. Dans les décennies 1970 et 1980, les épisodes de sécheresse incitent les populations du nord et du centre du Burkina Faso à migrer vers le sud et l’ouest, des zones faiblement peuplées, mais présentant des sols fertiles. Alors que les éleveurs sont à la recherche de pâturages, les agriculteurs mossis sont attirés par la culture du coton et de l’anacardier. Les mouvements de populations vers le sud-ouest s’accentuent dans les années 1990 dues à la saturation des terres dans le bassin
cotonnier traditionnel. Le retour de migrants burkinabè de la Côte d’Ivoire dans les années 2000 augmente également la pression sur les terres27.
Le Burkina Faso a une longue tradition d’orpaillage artisanal, qui a débuté avant même la colonisation, depuis au moins le XVe siècle28. Le nombre de mines artisanales, en hausse depuis les années 2000, se situe actuellement entre 700 et 1000. Toutefois, seuls quelques 261 sites ont une autorisation d’exploitation artisanale. Il est estimé qu’entre 600 000 et 1,3 million de personnes travaillent dans le secteur29. Près de la moitié de la production artisanale d’or annuelle est concentrée dans la région du sud-ouest, alors que la région du nord en accueille le quart30.
Galerie d’orpaillage au Burkina Faso, photographie par Ollivier Girard /CIFOR, Certains droits réservés
Le nombre de mines aurifères est en augmentation depuis 2007, année où quatre mines industrielles entrent en production. En 2020, le pays comptait 16 mines industrielles d’or et une mine de zinc, en plus de prévoir la mise en opération de trois mines additionnelles en 2021. Le Burkina Faso se place au cinquième rang des pays producteurs miniers en Afrique. Le secteur minier industriel emploie 50 000 personnes31.
L’expansion de l’activité aurifère s’effectue au détriment des surfaces agricoles, pastorales et forestières. En 2018, les permis d’exploration et d’exploitation minière industrielle couvraient près de la moitié de la superficie du territoire burkinabè32.
Des groupes armés liés à l’État islamique et Al-Qaïda multiplient les attaques contre des mineurs artisanaux et des employés de minières industrielles dans un contexte d’affaiblissement de l’État. Les groupes terroristes utilisent l’exploitation artisanale de l’or comme moyen de blanchir leur argent et de financer leurs activités. Ce type de violence a connu une recrudescence en 202133.
Investissements et acquisitions de terres
Les acquisitions de terres sont en augmentation au Burkina Faso. Entre 2000 et 2012, on estime que les investisseurs domestiques et étrangers ont obtenu 288 044 hectares de terres au Burkina Faso. De ce nombre, l’essentiel (131 442 hectares) était destiné à l’extraction minière, 43 102 hectares à l’agro-industrie et 113 500 hectares aux biocarburants34.
La Loi no 014/96/ADP portant réorganisation agraire et foncière au Burkina Faso, qui visait à accorder des droits réels sur les terres rurales pour sécuriser les investissements, a en réalité permis aux élites urbaines d’acquérir plus facilement des parcelles auprès des détenteurs coutumiers35. Ce mouvement s’est depuis amplifié. Dans certains cas, l’agriculture est un prétexte utilisé par des leaders politiques ou riches hommes d’affaires burkinabè pour s’approprier de vastes superficies, par la suite clôturées sans mise en valeur agricole effective.
Par ailleurs, le gouvernement vise à aménager des pôles de croissance afin de favoriser l’investissement privé, dont trois agropoles (Bagré, Samendeni et Sourou) et un pôle à vocation mixte mines/élevage (le pôle du Sahel). Le premier projet pilote lancé à Bagré en 1986, le Bagrépôle, est un aménagement hydro-agricole de 30,000 hectares déclaré zone d’utilité publique dont un quart des terres est alloué aux exploitants familiaux et les trois quarts à des investisseurs privés36.
Le sous-sol appartenant à l’État, les concessions minières sont uniquement accordées aux personnes morales nationales. Les compagnies étrangères accèdent donc au sous-sol à travers une société de droit burkinabè37. L’État burkinabè détient à titre gratuit 10% du capital social de toute compagnie minière industrielle exploitant un gisement et reçoit des dividendes sur les bénéfices38. Les mines industrielles sont pour l’essentiel la propriété de multinationales étrangères, notamment russes, australiennes, canadiennes, britanniques et sud-africaines. La première mine entièrement possédée et financée par des intérêts burkinabè, Salma Mining SA, a obtenu un permis d’exploitation industrielle en 2021 dans le sud-ouest du pays39.
Systèmes fonciers communautaires
Agriculture : La gestion traditionnelle des terres agricoles se fonde sur des principes communs à l’ensemble des groupes ethniques du Burkina Faso :
- La terre appartenant à Dieu, l’homme a pour responsabilité d’entretenir la terre sans en détenir la propriété. Par conséquent, il ne peut vendre la terre. Les prêts impliquent seulement un don symbolique sans contrepartie monétaire.
- Le chef de la terre gère le terroir villageois au nom de la communauté et supervise les sacrifices pour invoquer les génies du lieu. Le chef de la terre est généralement issu de la famille des premiers arrivants.
- L’accès aux terres se fonde sur l’appartenance à un lignage constitué de grandes familles ayant le même ancêtre. Des droits d’usage sont attribués au lignage, qui s’occupe de la répartition des terres entre ses membres.
- Le terroir est ouvert aux migrants et éleveurs transhumants, qui entrent alors dans une relation de « tutorat » avec les propriétaires fonciers coutumiers. Ayant en principe une durée indéfinie, les prêts de terres et autres accords fonciers prennent fin lorsque le bénéficiaire des droits d’usage cesse de cultiver la parcelle allouée ou ne respecte pas les restrictions qui lui sont imposées (telles qu’éviter de planter des arbres sur la parcelle prêtée).
Dans un contexte de monétarisation des échanges et de saturation foncière, la terre perd toutefois graduellement son caractère sacré et inaliénable pour être perçue comme un bien marchand. Les formes traditionnelles d’accès au foncier à travers les dons et les prêts à long terme font place à des pratiques de ventes et de locations à court terme, particulièrement dans les zones d’accueil des migrants comme le Sud-Ouest. Les transactions sur le foncier s’effectuent de plus en plus à l’échelle individuelle ou familiale sans consultation des autorités coutumières traditionnellement chargées de sa gestion. Le terroir villageois est ainsi fragmenté en domaines fonciers administrés par les chefs de lignage plutôt que le chef de la terre. Tandis que l’achat de terres offre aux acquéreurs une plus grande sécurité foncière, les prêts temporaires (d’une durée
de un à trois ans) accroissent pour leur part l’insécurité des migrants, des jeunes et des femmes qui y ont recours40.
Activités minières : La mise en activité de mines industrielles se fait souvent au détriment des droits fonciers des communautés locales, causant la réinstallation de milliers de personnes hors de leur village. Par exemple, Essakane, la seconde plus grande mine du Burkina Faso couvrant 100 km2, a entraîné le déplacement involontaire de plus de 16 000 personnes. Les mines à ciel ouvert altèrent profondément le paysage, créant d’immenses fosses, détruisant la végétation, faisant fuir la faune, contaminant les cours d’eau et les nappes phréatiques. Dans l’ensemble, les résidents considèrent que l’installation des mines à proximité de leur village n'améliore pas leurs conditions de vie ou contribue même à les dégrader. Plusieurs manifestations contre les mines industrielles ont été durement réprimées par les autorités policières41.
Le développement des mines industrielles entrave également l’exploitation artisanale de l’or comme la plupart des gisements sont situés à l’intérieur des périmètres d’exploration. Les orpailleurs pratiquent souvent leurs activités dans ces périmètres sans autorisation, ce qui entraîne des conflits entre ces derniers et les mines industrielles.
L’orpaillage n’est pas non plus sans conséquence, générant de fréquentes disputes entre les orpailleurs migrants et les communautés locales. L’extraction artisanale de l’or pollue les sols et les nappes phréatiques en raison de l’utilisation de substances toxiques comme le mercure et le cyanure. L’orpaillage entraîne de plus le retournement de la terre sur des centaines de mètres carrés ou le creusage de galeries jusqu’à 100 mètres. Les deux techniques créent des amoncellements de terre qui rendent par la suite l’agriculture impossible42.
Mine à ciel ouvert au Burkina Faso, photographie par Isuru Senevi, Certains droits réservés
Élevage : Les éleveurs au Burkina Faso sont confrontés à une précarité foncière grandissante. La capacité des zones agricoles à accueillir les éleveurs transhumants a fortement diminué due à l’accroissement du cheptel bovin et l’extension des surfaces agricoles. Il en résulte des dégâts imposés aux cultures et des conflits avec les producteurs agricoles. Dans un contexte de pression sur les terres, le régime de libre accès à la brousse n’offre pas aux éleveurs de sécurité foncière dans la mesure où les agriculteurs tendent de plus en plus à les exclure des zones auparavant réservées aux parcours ou au pâturage du bétail43.
Les conflits entre éleveurs et orpailleurs artisanaux sont également courants, même là où les droits pastoraux sont en principe garantis. Les éleveurs considèrent en effet que l’orpaillage entrave la mobilité des troupeaux. Les orpailleurs se défendent pour leur part de mener ces activités pour gagner leur vie sans gêner l’élevage44.
L’insécurité foncière pousse plusieurs éleveurs à reprendre les transhumances de longue distance ou à quitter définitivement les zones où la pression sur les terres est trop forte pour s’installer ailleurs au Burkina Faso, voire même au Ghana ou en Côte d’Ivoire.
Troupeau près du Lac Bam au Burkina Faso, photographie par Ollivier Girard /CIFOR, Certains droits réservés
Droits fonciers des femmes
D’un point de vue légal, les droits fonciers des femmes sont assez bien protégés au Burkina Faso. La loi de 2009, en son article 7, dispose explicitement que les acteurs ruraux doivent bénéficier d’un accès équitable aux terres sans distinction de sexe. Selon l’article 13 de la même loi, il est également attendu que les chartes foncières locales définissent des mesures favorisant les « groupes vulnérables, notamment les femmes, les pasteurs et les jeunes »45. La législation du pays vise par ailleurs à intégrer les femmes à la gestion des terres à travers la nomination de deux représentantes d’organisations féminines au sein des commissions foncières villageoises46.
En réalité, les inégalités de genre dans l’accès au foncier demeurent toutefois prononcées. Comme dans l’ensemble des sociétés patrilinéaires, la transmission intergénérationnelle du patrimoine foncier s’effectue par l’intermédiaire des hommes descendant d’un même lignage. Au Burkina Faso, rares sont les femmes qui sont propriétaires de leurs terres. Elles se voient généralement octroyer une parcelle du domaine foncier appartenant au lignage de leur époux. Le sol de ces parcelles est souvent de piètre qualité et de superficie réduite. Certains groupes ethniques et religieux ne permettent pas aux femmes de cultiver leurs champs personnels. Avec l’accord de leur mari, ces dernières doivent donc se contenter de pratiquer l’agriculture en saison sèche.
Les droits d’usage des femmes sont précaires et révocables. Ainsi, lorsqu'un jeune chef de famille doit s’établir ou qu’un migrant revient dans son village, les propriétaires coutumiers tendent à reprendre les parcelles allouées aux femmes. Les femmes ne prennent pas part aux décisions entourant la gestion du foncier, qui demeure sous le contrôle des hommes47.
Au niveau national, les femmes représentent de 50% à 55% de la main-d'œuvre agricole. Pourtant, elles n’exploitent qu’environ 16% des terres. Ce pourcentage est encore plus faible dans les régions du bassin cotonnier, où il varie entre 7 et 9% en 2020. Les femmes ont de plus en plus recours à l’emprunt pour accéder au foncier. En 2020, près de 57% des superficies exploitées par des femmes ont été obtenues par emprunt ou location, alors que 43% ont été acquises par héritage, don ou leg.
La persistance des pratiques coutumières se reflète dans les demandes d’attestations de possession foncière rurale, dont seulement 3,27% proviennent de femmes (soit 1 399 sur un total de 42 760 demandes enregistrées entre 2014 à 2019)48.
Systèmes fonciers en milieu urbain
L’accès aux terres en milieu urbain est régi par la Loi no 017-2006/AN portant code de l’urbanisme et de la construction au Burkina Faso et la Loi no 034-2009/AN du 16 juin 2009 portant régime foncier rural au Burkina Faso. Le pays compte 49 communes urbaines. Tout comme en zones rurales, le foncier des villes est marqué par le droit coutumier, les pratiques informelles et la spéculation en lien avec la faible présence de l’État.
Ouagadougou, photographie par Thierry Draus, Certains droits réservés
Par exemple, à Ouagadougou, la capitale et plus grande ville du pays, les chefs traditionnels mossis sont fréquemment impliqués dans la vente informelle de terres à des agences immobilières ou des migrants. Ceux qui construisent leur maison sur des terrains non lotis, c’est-à-dire des zones d’habitat spontané, espèrent voir leur parcelle régularisée après coup, mais demeurent souvent menacés d’éviction sans compensations. En réaction à l’insécurité foncière en ville, les citoyens ont créé plusieurs comités de défense du droit au logement. Deux formes de légitimité s’opposent donc en milieu urbain : celle revendiquée par les chefs coutumiers basée sur leur autorité traditionnelle et celle du respect des règles officielles réclamée par les nouveaux arrivants49.
Innovations foncières
L’État burkinabè consent des efforts importants pour favoriser l’accès des femmes aux parcelles irriguées. En 2020, le gouvernement a alloué 45,94% des nouvelles superficies aménagées auxfemmes, dépassant ainsi son objectif fixé à 30%50. De plus, le gouvernement cherche à promouvoir l’accès des femmes aux intrants et équipements agricoles. Une étude révèle que ces politiques ont des effets positifs et contribuent « à la sécurité alimentaire, à une croissance économique et à l’amélioration des conditions de vie des femmes »51.
Ligne du temps des régimes fonciers
1984 : Promulgation de l’ordonnance no 84-050/CNR/PRES du 4 août 1984 portant réorganisation agraire et foncière au Burkina Faso.
La loi érige l’État comme propriétaire éminent des terres à la suite de la révolution sankariste.
2002 : Loi no 034-2002/AN du 14 novembre 2002 portant loi d’orientation relative au pastoralisme
Cette loi vise à sécuriser la pratique du pastoralisme au Burkina Faso.
2009 : Adoption de la Loi no 034-2009/AN du 16 juin 2009 portant régime foncier rural au Burkina Faso
Cette loi vise à reconnaître et formaliser les droits fonciers coutumiers.
2012 : Adoption de la Loi no 034-2012/AN du 2 juillet 2012 portant réorganisation agraire et foncière au Burkina Faso
Cette loi instaure un domaine foncier des municipalités et des particuliers. L’État n’est donc plus le seul détenteur du domaine foncier national.
2015 : Adoption de la Loi n° 036-2015/CNT portant code minier du Burkina Faso
Cette loi révise les codes miniers précédents notamment afin d’augmenter les bénéfices tirés de l’exploitation industrielle de l’or.
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Les suggestions de l’auteur pour des lectures supplémentaires
Pour en apprendre davantage sur les liens complexes entre exploitation aurifère et violence terroriste au Sahel, le lecteur peut se référer au rapport de l’International Crisis Group intitulé Reprendre en main la ruée vers l’or au Sahel central. On y discute comment des groupes armés, dont des jihadistes, prennent le contrôle de sites d’orpaillage dans des zones où l’État est peu présent au Burkina Faso, au Mali et au Niger.
Si vous êtes davantage intéressé par les questions agricoles, je suggère un article scientifique de Souleymane Ouédraogo et Marie-Claire Sorgho Millogo. Les auteurs expliquent comment les systèmes de gestion coutumière des terres se sont adaptés afin de permettre l’introduction detechniques de lutte contre la désertification. Ainsi, même ceux qui ne sont pas propriétaires de leurs terres tentent de renverser la dégradation des sols.