Les pays du Sud connaissent des processus forts d’exclusion foncière et d’exposition à des risques environnementaux, souvent liés à des logiques extractivistes particulièrement brutales. Face à ces situations, on observe une mobilisation croissante des concepts de justice socio-spatiale et environnementale dans les travaux de recherche visant à les décrire et à analyser les différentes formes de résistance ou de contestation qu’elles suscitent. Mais ces concepts reposent implicitement ou explicitement sur des théories de l’État et de la citoyenneté supposées universelles. Le colloque a pour objectif de confronter ces concepts aux relations sociales spécifiques entre l’Etat et les citoyens, dans différents contextes du Sud global.
En effet, les notions de justice et les moyens d’obtenir justice diffèrent radicalement d’un contexte à l’autre. Cette diversité est liée aux multiples configurations de l’État, des communautés locales, des traditions juridiques, des pluralismes normatifs locaux, et des institutions et acteurs intermédiaires qui ont opéré dans la mise en relation entre ces communautés, les instances étatiques et juridiques et les opérateurs économiques. Ces différences de configuration expliquent la variété des perceptions de la notion de justice et des formes stratégiques mobilisées dans les contextes locaux pour obtenir satisfaction de certaines demandes.
D’une part, les représentations du juste et de l’injuste, de l’équitable et de l’inéquitable, varient d’un contexte social à un autre, en fonction de l’ampleur des inégalités, mais aussi de la façon dont elles sont ou non légitimées à travers un ensemble de dispositifs politiques et institutionnels pouvant opérer à différentes échelles. D’autre part, contrairement au postulat libéral selon laquelle la citoyenneté et le droit (et donc le recours à l’État) sont au soubassement de la conceptualisation de la justice et de sa mise en œuvre, les demandes de réparation ne s’adressent pas forcément à l’État. À tout le moins, elles ne mobilisent pas nécessairement le droit et l’appareil judiciaire, pour une série de raisons qui tiennent aux rapports du droit à la société, à la confiance dans cette institution, à son accessibilité, etc. En pratique, tout un ensemble de relations sociales, spatiales et politiques contribuent à définir tant les façons différenciées de concevoir, de recourir à et d’exercer la justice, que les moyens par lesquels les sentiments d’injustice sont exprimés par les individus et – parfois – mobilisés par des groupes mobilisés pour obtenir une réparation collective.
Il est donc utile d’interroger cette diversité de conceptions et de pratiques de la justice. L’échelle nationale est particulièrement pertinente pour cet exercice, car les concepts de justice forgés dans les périodes coloniale et postcoloniale structurent la place du droit et de l’appareil judiciaire dans le traitement des conflits, et souvent le cadre dans lequel se déroulent les luttes locales. L’échelle nationale détermine également les canaux et les registres institutionnels à travers lesquels des notions formalisées dans les forums globaux, comme celle de justice environnementale ou de droits humains, sont saisies, interprétées et mobilisées. Pourtant, c’est bien aux échelons locaux que doivent être analysés avec finesse les processus à travers lesquels se réalisent les formes de rencontre, d’ajustement et d’hybridation entre registres et instances de justice – internationaux, nationaux, locaux –, ainsi que les acteurs qui interviennent dans ces processus en fonction de logiques propres.
L’objectif de ce colloque est ainsi de mobiliser des travaux de terrain portant sur différentes situations d’(in)justices socio-spatiales et environnementales dans les pays du Sud. Il s’agit d’avancer dans la compréhension de ce que signifie la justice pour les acteurs locaux (comment ils en formulent les enjeux et par quelles voies ils cherchent à obtenir satisfaction) et du traitement par les États de ces demandes de justice. Il s’agit enfin, par cette approche, de mettre au jour les diverses trajectoires de formation et de reconfigurations de l’État et de la citoyenneté à travers les formes d’expression et de traitement des injustices.
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In many parts of the global South, people are subject to exclusion from the land and natural resources, and exposed to serious environmental risks often linked to brutal forms of extractivism. Researchers increasingly turn to concepts of socio-spatial and environmental (in)justice to describe these situations and analyze the various forms of resistance and contestation they generate. But implicitly, globally circulating concepts of (in)justice are based on theories of the state and citizenship that are assumed to be universal. The symposium aims to confront these concepts with the specific relationships that emerge between state and citizen in different parts of the global South.
Notions of justice and means of obtaining justice differ radically from one context to another. This diversity is linked to the multiple configurations of the state, local communities, legal traditions, local normative pluralisms, and the intermediary institutions and actors that link communities to state, juridical, and commercial bodies. It is these specific configurations that explain, in part, the perceptions of justice and the strategies mobilized by actors seeking redress.
On the one hand, representations of the just and the unjust, the equitable and the inequitable, vary from one social context to another, depending not only on the extent of inequalities but also on the ways in which they are or are not legitimized through institutional and political processes operating at different scales. On the other hand, contrary to the liberal postulate that citizenship and law (and therefore recourse to the state) underpin the conceptualization of justice and its implementation, demands for redress are not necessarily addressed to the state. They may not mobilize the law and the judicial system, for a series of reasons that have to do with the relationship between the law and society, confidence in the judicial system, its accessibility, etc. In practice, a whole range of social, spatial and political relations are implicated in framing how justice is conceived, used and exercised; and the ways in which feelings of injustice are expressed by individuals and – sometimes – by groups mobilized to seek collective redress.
In interrogating the diversity of conceptions and practices of justice, the national scale is particularly relevant as concepts forged in the colonial and post-colonial periods shape the role of law and the judiciary in state-society relations, and often provide the framework within which local struggles take place. The national scale also determines the institutional channels and registers through which notions formalized in global forums, such as environmental justice or human rights, are grasped, interpreted and mobilized. Yet it is at local levels that we can best appreciate how international, national and local registers and instances of justice meet, adjust and hybridize; and here too that we can understand the diverse actors who play mediating roles.
The aim of the symposium is to mobilize field-based research on different situations of socio-spatial and environmental (in)justice in the global South, to forge a better understanding of what justice means for local actors (how they formulate the issues at stake and seek redress), and how states deal with these demands. More broadly, the goal is to draw on specific studies of (in)justice to shed light on different configurations of citizenship and the state.